Nous sommes une dizaine autour de la table ce soir là...Le but de la rencontre est de retrouver et de transcrire la mémoire du village.
La plupart habitent le village depuis l'enfance...Seuls l'animateur et nous sommes nouvellement arrivés ici...Nous n'habitons ici que depuis une dizaine d'années...Et comme nous l'avait dit un villageois de souche à notre arrivée :"Pour être d'ici, il faut avoir au moins deux ou trois générations au cimetière"
Mais tout doucement les mentalités changent, on sent de moins en moins cette méfiance des anciens envers les nouveaux habitants, ce ne sera bientôt qu'un souvenir...J'apprends , au cours de cette soirée, que, pour être bien considéré, au milieu du siècle dernier, il fallait non seulement être un ancien mais aussi posséder des terres...Celui qui n'était qu'un simple fermier, qui donc travaillait la terre des autres, avait moins de valeur personnelle et sur les lettres que l'on envoyait par la poste, on notait , à côté du nom que l'on était propriétaire...
Quelqu'un cite cette anecdote véridique : (cela se passe après la guerre, dans les années 50 environ)
Ils sont trois à bavarder sur la place...Un notable du village arrive, il salue les deux premiers en les appelant "monsieur" (ce sont des propriétaires) et le troisième , il lui assène son nom sans le faire précéder du terme de monsieur (lui, ce n'est qu'un simple fermier)...Mais le fermier n'a pas sa langue dans sa poche et ne supporte pas de se sentir humilié...Alors gaillardement, il lui répond de la même manière en l'apostrophant par son seul nom ....Ce dernier n'a pas pipé mot...Mais un grand silence s'est établi entre les quatre hommes....Il avait de l'audace ce fermier !
Nous passons près de deux heures à égrener les souvenirs de ce temps pas si lointain....Un livret va suivre, peut-être un CD où seront recueillis tous ces témoignages....
Bien sûr, on entend le fatidique "c'était le bon temps" prononcé par une dame mais une autre lui répond que non, elle, elle n'a pas un souvenir si joyeux des kilomètres à pied faits toute seule au milieu des bois alors qu'elle n'avait que sept ans et qu'elle allait à l'école.
Mais si la vie était dure, ils n'étaient pas tristes pour autant et ils adoraient se faire des farces.